Après un an et demi de pandémie mondiale, l’Insee annonçait mardi 7 septembre une croissance prévisionnelle de 6,25%, notamment grâce à la consommation des ménages.
La Direction générale du Trésor présentait le même jour les perspectives de rebond de l’économie française au deuxième semestre 2021 et sur l’année 2022 (graphique ci-dessous)[1].
La reprise accélérée de l’activité économique post- (ou avec) COVID provoque des tensions économiques et donc contractuelles très importantes.
Les acteurs économiques font en effet face à des difficultés de différentes natures :
Dans ces conditions, les acteurs économiques se trouvent souvent face à des augmentations de coûts très élevées ou dans l’impossibilité de satisfaire leurs engagements contractuels et, en raison de retard (voir arrêt) des livraisons, ils risquent d’engager leur responsabilité pour faute contractuelle, et éventuellement pour rupture brutale des relations commerciales.
Quels sont les outils juridiques mobilisables pour s’exonérer ou limiter sa responsabilité ? Comment se prémunir contre ce type de risques ?
Les concepts de force majeure et d'imprévision sont fortement sollicités. Il peut toutefois également être recouru à la notion de déséquilibre significatif entre les parties, ou encore aux clauses d’échelle mobile, de take-or-pay ou make-or pay.
Force majeure – La force majeure libère celui qui n’est plus en mesure d’honorer son obligation.
On rappellera ici que la nouvelle formulation de la définition la force majeure ouvre des perspectives, en ce qu'elle semble avoir légèrement allégé les exigences d'imprévisibilité et d'irrésistibilité[2].
Par ailleurs, la jurisprudence accepte également l'aménagement contractuel de la notion de force majeure pourvue que demeure une certaine dose d’imprévisibilité. L’efficacité des clauses de force majeure est soumise à leur rédaction, qui doit faire l’objet du plus grand soin.
Principalement, les clauses qui énumèrent à titre illustratif et non exhaustif les évènements qui seront constitutifs de la force majeure ne dispensent pas le défendeur de prouver que les conditions de la force majeure – imprévisible, irrésistible et extérieur – sont satisfaites. A titre illustratif, la chambre commerciale a jugé qu’une clause prévoyant que « de convention expresse entre les parties, sont considérées comme cas de force majeure, exonérant le prestataire de toute responsabilité, tous les phénomènes naturels, tels que tempêtes, orages et cyclones, etc... » ne prive pas le juge de son pouvoir d’apprécier l’imprévisibilité et l’irrésistibilité de l’évènement[3]. La clause de force majeure citant comme exemple de force majeure une pénurie d’approvisionnement, une difficulté insurmontable lié au mode de transport des marchandises ou une pandémie ne dispense pas le débiteur d’établir les conditions de la force majeure.
A l’inverse, les clauses qui disposent que les évènements visés sont assimilés à la force majeure, indépendamment des exigences légales d’extériorité et d’irrésistibilité, dispensent les parties de prouver que les conditions de la force majeure sont satisfaites. Pour élargir la définition de la force majeure, ces clauses peuvent également atténuer la rigueur de l’irrésistibilité. Ainsi était rédigé le contrat liant EDF et Total Direct Energie, en vertu duquel était exonératoire l’impossibilité de s’exécuter « dans des conditions économiques raisonnables ». Total Direct Energie, dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations dans des conditions économiques raisonnables en raison de la crise Covid-19, a été exonérée des suites de l’inexécution de ses obligations sur le fondement de la clause de force majeure[4] .
Les clauses de force majeure ont en effet d’ores et déjà pu prouver leur efficacité dans le contexte de la crise Covid [5], même si cette efficacité pourrait devenir plus relative, compte tenu de la situation aujourd’hui connue de tous et qui fragilise notamment l’imprévisibilité voire l’irrésistibilité.
Les effets de la force majeur sont en outre radicaux et il peut leur être préféré une renégociation, permettant la poursuite du contrat dans de nouvelles conditions plus acceptables.
Imprévision- La notion d'imprévisibilité « rendant l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque »[6] » apparaît particulièrement adaptée aux situations d’accroissement rapide du prix des matières premières ou du transport.
Le mécanisme légal de renégociation peut permettre d’obtenir un aménagement des délais d’exécution du contrat en faveur du débiteur, une renonciation aux pénalités de retard de la part du créancier, ou une révision du prix auprès du partenaire commercial, ou auprès du tribunal de commerce.
Rappelons que la survenance d’un évènement imprévisible au sens de la loi, n’autorise pas la partie qui entend s’en prévaloir de suspendre l’exécution de ses obligations. L’article 1195 dispose qu’« elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ».
Les clauses de renonciation aux dispositions de l’article 1195 du Code civil ont toutefois proliféré dans les contrats rédigés après l’intégration du mécanisme au code civil, par crainte de voir confié aux juges le soin de fixer « le juste prix » et font aujourd’hui obstacle à l’invocation d’un droit à renégocier le contrat. Les praticiens tenteront certainement à l’avenir d’aménager les conditions et effets de l’imprévision, plutôt que d’opter pour son exclusion systématique.
Pour l’heure, l’efficacité de ces clauses de renonciation pourrait être contestée ou contournée sur le fondement du déséquilibre significatif.
Déséquilibre significatif du contrat - Une clause de renonciation à l’article 1195 du Code civil pourrait être écartée si elle est jugée créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, sur le fondement de l’article 1171 du Code civil ou sur celui de l’article L. 442-1 du Code de commerce (qui autorise à demander la nullité de la clause[7]), notamment lorsqu’elle met à la charge d’une partie l’ensemble des risques inhérents à l’exécution du contrat.
Indépendamment de l’efficacité de la clause de renonciation, le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties peut justifier une indemnisation de la partie supportant le déséquilibre supposé - et permettre de parvenir au même résultat qu’une renégociation du prix sur le fondement de l’imprévision – particulièrement lorsqu’un contrat encadre une relation à long-terme, n’a pas (ou peu) été négocié lors de sa conclusion et en présence de clauses non-réciproques.
Clause d’échelle mobile - Les clauses d’échelle mobile, ou clause d’indexation, permettant une variation automatique du prix, en fonction de la fluctuation d’un indice de référence (cours du blé ou du pétrole par exemple) et d’une périodicité convenue, prouvent également particulièrement leur utilité en cette phase de reprise post-Covid. Leurs bénéficiaires ne doivent pas hésiter à s’en prévaloir puisqu’elles ne font que refléter l’équilibre contractuel voulu par les parties à l’origine.
A l’inverse, les augmentations de prix qui en résulteraient pourraient de nouveau rendre l’exécution du contrat particulièrement onéreuse pour l’acheteur du bien ou du service qui pourrait alors être tenté d’invoquer l’imprévision.
Il n’est, par ailleurs, pas rare en pratique de rencontrer des clauses organisant une variation de prix uniquement à la hausse et prévoyant un gel du prix en cas de baisse de l’indice. La Cour de cassation juge que ces clauses doivent être réciproques, sous peine de nullité[8].
La clause d’indexation protège d’une évolution non anticipée des prix exclusivement.
Il est ainsi recommandé de l’accompagner de mécanismes contractuels assurant les parties contre des risques d’inexécution plus largement (ex : délais d’approvisionnement) et surtout de l’encadrer dans un plafond, voire organiser une possibilité de sortie du contrat, pour éviter une augmentation trop insupportable des prix.
Take or Pay/Make or Pay – Les pénuries d’approvisionnement ne doivent pas occulter le risque existant de fournisseurs qui, à l’inverse, ont pris leurs dispositions pour assurer les livraisons, et se heurtent au refus des clients de retirer les marchandises. En vertu des clauses TOP (Take or Pay) (Make or Pay), une entreprise est tenue d’assurer le retrait des produits commandés ou, à défaut, de payer une pénalité.
En somme, les situations sont diverses et le recours aux différents leviers dépendra évidemment du but recherché, de la posture de client ou fournisseur, et de l’importance de la désorganisation que ces tensions entraînent pour les acteurs économiques, après une reprise saluée par tous mais dont la vigueur est inédite.
[1] Perspectives mondiales à l'automne 2021 : un rattrapage hétérogène | Direction générale du Trésor (economie.gouv.fr)
[2] Article 1218 du Code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ».
[3] CA Paris, 28 févr. 1990 : RTD civ. 1990, p. 669, obs. P. Jourdain.
[4] T. com. Paris, ord. réf., 20 mai 2020, n° 20201647 : JCP E 2020, 1350, note M. Lamoureux.
[5] V. not. Rép. min., n° 28330 : JOAN, 25 août 2020, p. 5644
[6] Article 1195 du Code civil : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »
[7] C. com., art. L. 442-4, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 24 avril 2019.
[8] Cour de cassation – chambre civile 3, Audience publique du jeudi 14 janvier 2016, n° 14-24681