La carte de vœux de la Commission des sanctions de l’AMF aux distributeurs de produits financiers
(Où la Commission des sanctions fait le catalogue des préoccupations actuelles du régulateur)
(CDS AMF, 24 janvier 2019, 17-15)
Décision après décision, la Commission des sanctions construit sa jurisprudence relative aux règles de bonne conduite applicables aux distributeurs de produits financiers, en l’occurrence les CIF, mais la solution est transposable à tous les distributeurs.
La lecture de la décision du 24 janvier 2019 montre à quel point ce travail peut-être répétitif (CDS AMF, 24 janvier 2019, 17-15).
Que retenir de cette décision ?
En définitive, peu de choses que la profession ne savait déjà, pour avoir été jugées par la Commission des sanctions.
L’intérêt de cette décision est ailleurs et réside dans le catalogue des préoccupations actuelles du régulateur, que recense ici la Commission des sanctions.
Les inducements
La première de ces préoccupations porte sur l’information relative aux modalités de la rémunération du CIF, c’est-à-dire en un mot aux « inducements ». On le sait, l’article 325-16 du RGAMF impose aux CIF, dans des conditions comparables aux PSI, d’informer leurs clients des inducements qu’ils reçoivent des producteurs. A cet égard, indiquer les modalités de rémunération ne suffit pas, le CIF devant « divulguer les éléments de la rémunération du CIF, soit, en l’espèce, les différents types de rémunération perçues, assortis de taux différents et progressifs selon les niveaux de souscription et d’encours ». Cela avait déjà été jugé à de nombreuses reprises (CDS AMF, 4 décembre 2013, Société X ; CDS AMF, 21 septembre 2012, M B et Société X).
La mise en garde sur les risques
La deuxième est classique et porte sur l’information qui doit être donnée au client sur les risques des produits recommandés. On le sait, les clients doivent être mis en garde sur les risques auxquels ils s’exposent, par quelque moyen que ce soit, pourvu que cette mise en garde soit suffisante. En l’occurrence, rien ne semble avoir été fait, ni par l’intermédiaire du rapport de conseil, par acte séparé ou par la documentation commerciale. Ce grief était en l’occurrence aggravé par la conscience qu’avait le CIF des risques particuliers de l’investissement, établie par diverses correspondances échangées avec le producteur.
Le test d’adéquation
La troisième préoccupation, relative au test d’adéquation, est une exigence régulière des missions de contrôle. Le reproche était ici plus précis et portait en l’occurrence sur le fait « que les fourchettes de revenus et de patrimoine qui figurent dans le questionnaire fourni par […] à ses clients ayant souscrit les produits [étaient] trop larges pour permettre d’apprécier correctement leur situation financière ». Il n’était pas question de statuer sur l’existence du test lui-même, mais sur ses qualités, ce qui est un travail rarement soumis à l’appréciation de la Commission des sanctions (CDS, 3 juin 2014, Société X venant aux droits de la Société Neville Gestion ; CDS, 6 décembre 2013, Avenir Finance Investment Managers).
Le questionnaire de connaissance était établi à partir d’une échelle-type de quatre niveaux: « 1/ Moins de 50 k€ ; 2/ Entre 50 k€ et 100 k€ ; 3/ Entre 100 k€ et 500 k€ ; 4/ Plus de 500 k€ » et précisait que « le patrimoine était apprécié « hors immobilier », sans qu’aucune question ne vise ensuite à en estimer la composition ou la valeur. Pour l’appréciation des revenus des clients, l’échelle-type était ainsi rédigée : « 1/ Moins de 2 500 euros / mois ; 2/ Entre 2 500 et 5 000 euros / mois ; 3/ Entre 5 000 et 10 000 euros / moi ; 4/ Plus de 10 000 euros / mois. ». Malheureusement, l’analyse de la Commission des sanctions est lapidaire, puisqu’elle estime qu’au vu de ces éléments, le CIF « s’est abstenu de recueillir les éléments de connaissance de certains de ses clients en ce qui concerne leur expérience et leur situation financières, ainsi que leurs objectifs d’investissement, ou les a recueillis postérieurement aux dates des souscriptions, en méconnaissance des dispositions du 4° de l’article L. 541-8-1 du code monétaire et financier ». En d’autres termes, aucune information n’était recueillie sur l’expérience, la situation financière et les objectifs, ce qui était suffisant pour caractériser le grief, sans avoir à effectuer la délicate analyse de porter un jugement de valeur sur la granularité des fourchettes mentionnées ci-dessus.
L’information connue du CIF sur la solvabilité du producteur
La quatrième préoccupation du régulateur portait sur le caractère « clair, exact et non trompeur » de la documentation commerciale remise par le CIF. Il était notamment reproché à l’établissement poursuivi de :
« ne pas avoir remis les comptes sociaux et consolidés du groupe […] à ses clients, et de ne pas leur avoir communiqué les informations dont elle disposait relatives aux résultats en déficit croissant de […] entre 2012 et 2014, aux niveaux significatifs d’endettement de cette dernière, aux engagements de rachats de titres des souscripteurs et au nantissement au profit des banques des créances sur EDF des structures produisant l’électricité renouvelable. Les rapports d’activité de CVE pour les années 2013, 2014 et 2015, montrent que […] était en déficit croissant depuis l’exercice 2012. Au 31 décembre 2014, le déficit de la société s’élevait à 879 000 euros pour un chiffre d’affaires de 3,2 millions d’euros, le niveau d’endettement atteignait 25 millions d’euros. En outre les engagements de rachat de titres de […] s’élevaient à 15,5 millions d’euros, et le montant de créances sur EDF nanties au profit des banques était de 15 millions d’euros ».
Pour le dire autrement, le CIF avait, au moment du conseil, des informations sur la solvabilité du producteur dont il aurait dû informer ses clients, au-delà de la documentation commerciale. C’est une application du principe du droit des obligations, remanié par la récente ordonnance de réforme du droit des contrats (nouvel article 1112-1 du Code civil), dont la Cour de cassation fait régulièrement application dans les programmes d’investissement défiscalisant, notamment à l’égard des notaires (CA Riom, 30 janvier 2017,15/00590).
Le placement
La cinquième et dernière préoccupation portait sur l’activité de placement, dont on sait qu’elle est interdite aux CIF. Régulièrement, la Commission des sanctions doit leur rappeler l’interdiction qui leur est faite de se livrer à une activité de placement (CDS AMF 28 octobre 2013, Société X CDS AMF, 4 décembre 2013, Société X, CDS AMF, 20 mai 2015, Eliaxis Conseil et autres ; CDS AMF, 20 décembre 2017, Finance Utile).
Pour mémoire, le service de placement (non garanti) est défini par l’article D. 321-1-7° du Code monétaire et financier comme le fait « de rechercher des souscripteurs ou des acquéreurs pour le compte d'un émetteur ou d'un cédant d'instruments financiers sans lui garantir un montant de souscription ou d'acquisition ».
Cette définition a été précisée par la Position AMF 2012-08, qui dispose que le service de placement
« se reconnait par la présence de deux conditions cumulatives :
Cette seconde condition est la résultante de la première dans la mesure où la recherche de souscripteurs ou d’acquéreurs n’est effectuée que pour les besoins du service rendu à l’émetteur ou au cédant. Le service ainsi rendu à l’émetteur ou au cédant est donc central et préalable pour caractériser la fourniture [du service] de placement ».
Les difficultés des professionnels pour distinguer le placement du simple conseil en investissement tiennent au fait que l’acte matériel constitutif de l’obligation est souvent identique dans les deux cas : il s’agit d’une incitation ou proposition, à souscrire à une levée de fonds. La contrepartie de l’obligation en revanche diffère : le conseil en investissement est fourni pour le compte du souscripteur, alors que le service de placement l’est au seul bénéfice de l’émetteur. En réalité, c’est la rémunération versée par l’émetteur qui constitue le critère déterminant permettant de déceler que le service est bien rendu pour son compte (CDS AMF, 28 février 2008).
En l’occurrence, la Commission des sanctions rappelle :
La Commission des sanctions en déduit que le CIF « procédait bien, dans le cadre de ses relations avec […], à une recherche de souscripteurs d’instruments financiers pour le compte d’un émetteur auquel elle ne garantissait aucun montant de souscription, et donc à une activité de placement non garanti ».
Loin des exigences de MIF II et de DDA, cette décision rappelle que les fondamentaux des règles de bonne conduite applicables aux distributeurs, issues de la loi de Sécurité Financière de 2003, doivent encore être rappelés.