Premières réactions à la lecture de l’ordonnance de transposition
C’est peu dire que le texte de transposition de la directive DDA était attendu, au point que l’on est en droit de se demander s’il n’est pas quelque peu tardif au regard des travaux informatiques mis en œuvre depuis plusieurs mois par les professionnels sur la place pour s’y conformer.
Il a (enfin) été publié au JO du 17 mai 2017 (JORF n°0112 du 17 mai 2018, n°29, Ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018 relative à la distribution d’assurances, n° ECOT1734966R).
C’est un texte majeur qui nécessitera évidemment une analyse approfondie de chacune de ses dispositions.
Concentrons-nous sur l’un des aspects les plus importants de la directive DDA : l’obligation (ou non) faite au distributeur de produits d’assurance-vie et de capitalisation de fournir un conseil et, pour ce faire, de connaître son client.
A l’identique de ce que prévoit déjà le corpus MIF, la directive DDA prévoit, pour les produits d’assurance-vie et de capitalisation, un système à « deux étages » :
Une distribution sans conseil assortie de l’obligation faite au distributeur de s’assurer du caractère simplement « approprié » (« appropriate ») du produit d’assurance-vie qui est commercialisé (article 30.2 de la directive).
Une distribution avec conseil, assortie dans ce cas de l’obligation de s’assurer que le produit conseillé (« recommandé » dit le texte de la directive) est « adapté » (« suitable ») (article 30.1 de la directive).
Autrement dit, dans le deux cas, la directive prévoit un contrôle de pertinence du produit distribué, plus ou moins contraignant, au regard de la situation personnelle du client.
La différence pour la directive tient au nombre de critères devant être vérifiés par le distributeur : (i) en cas de contrôle du caractère « approprié », le distributeur s’enquiert de la connaissance et de l’expérience du client (article 30.2) ; (ii) en cas de contrôle du caractère « adapté », il s’enquiert, en outre, de sa situation financière (y compris de sa capacité à subir des pertes) et de ses objectifs d’investissement (y compris de sa tolérance au risque) (article 30.1 de la directive).
On le sait, le droit français ne s’embarrassait pas de ces distinctions et prévoyait, aux termes de l’une des dispositions sans doute les plus célèbre du Code des assurances (feu article L.132-27-1) que le conseil était obligatoire, qu’il devait faire suite à une analyse de la situation du client et, qu’à la lueur de cette analyse, il devait être motivé par écrit[1].
Et l’instruction ACPR 2013-R-01 (complétée de son annexe 2016 relative aux souscriptions en ligne) donnait le « guide pratique » de respect de cette obligation, c’est-à-dire des questions qui devaient être posées et de l’usage que l’établissement devait faire des réponses pour « profiler » (pour reprendre le terme opérationnel) le client.
Il faudra apprendre à vivre sans l’article L.132-27-1 du Code des assurances, qui est abrogé.
Ce n’est toutefois que pour mieux renaître sous la lettre d’un nouvel article L.522-5, qui connaîtra la même postérité.
Quelles sont les modifications ?
Elles sont assez importantes.
Le texte de transposition avait deux options. Il aurait pu reprendre à l’identique la structure à « deux étages » de la directive ((i) avec conseil / test d’adéquation ou (ii) sans conseil / test du caractère approprié). A l’inverse, il aurait pu aller au-delà des exigences européennes en imposant une distribution avec conseil et test d’adéquation.
La seconde option avait été envisagée et a (in extremis semble-t-il) été abandonnée.
C’est une voie médiane qui a été choisie.
Le raffinement apporté au texte européen est, cet égard, byzantin.
En substance, le Code des assurances, maintient l’obligation de conseil dans tous les cas. Sur ce point, rien ne change et l’ordonnance s’écarte de la directive sur ce point.
En revanche, le droit français conserve le mécanisme à « deux étages » de la directive européenne, mais en l’adaptant pour tenter de le concilier avec le droit français.
Le texte le fait en établissant deux catégories de conseil :
Un conseil qui serait « standard », pour lequel un simple test du caractère « approprié » sera effectué et qui devra conduire le distributeur à déterminer si le produit est « cohérent » pour le client. Il ne s’agira pas ici de comparer différents contrats et d’en sélectionner le meilleur, mais simplement de s’assurer que le contrat proposé au client est compatible, pourrait-on dire, avec ses besoins et exigences ;
Un conseil plus sophistiqué, « personnalisé » (ce qui d’ailleurs laisserait entendre que le premier ne l’est pas, alors que ce n’est pas si évident), qui est soumis au test plus complet du caractère « adapté ». Ce conseil conduira le distributeur à « expliquer en quoi, parmi différents contrats ou différentes options d’investissement au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options sont plus adéquats à ses exigences et besoins et en particulier plus adaptés ». En clair, il s’agit d’aller plus loin que le simple contrôle de cohérence et d’identifier parmi une gamme de contrats, celui qui convient le mieux à la situation du client.
En définitive, coexistent un conseil générique, standard, de « cohérence » pour reprendre le texte de l’ordonnance et un conseil amélioré, « personnalisé » qui résulte d’un travail de comparaison. Le même raisonnement avait été utilisé lorsque le législateur avait modifié le régime des IOBSP, c’est-à-dire des apporteurs d’affaires bancaires, à la suite de la transposition de la directive relative au crédit immobilier et hypothécaire.
La rédaction du texte n’est pas toujours satisfaisante, à plusieurs égards :
D’un point de vue strictement juridique, l’architecture du texte est contestable. Il divise en effet une même obligation (le conseil, en droit un « louage d’ouvrage »), à partir d’éléments préparatoires à la fourniture de cette obligation (i.e. le caractère plus ou moins étendu du questionnaire de connaissance clients et le travail de comparaison qui précède le conseil).
C’est la conséquence de ce qui précède, d’un point de vue pratique – et notamment en cas d’actions contentieuses – cette division posera probablement des difficultés. Qui pourra dire s’il s’agit d’un conseil standard (de cohérence) ou personnalisé lorsque la lettre de mission sera silencieuse sur ce point ?
A cela, le distributeur pourra soutenir qu’il n’a fait qu’un test du caractère approprié et non du caractère adapté, preuve (selon lui) qu’il était soumis au régime du conseil standard, ce à quoi l’investisseur ne manquera pas de répondre que le distributeur disposait de ses éléments mais qu’il n’en a rien fait ou qu’il aurait dû les lui demander.
De même, toujours en cas de contentieux, qu’est ce qui délimitera concrètement l’incohérence du produit de son caractère inadapté ? Les actions contentieuses sont introduites à la suite d’une surpondération de produits en UC exposées aux marchés volatils et à la baisse de leur valeur. Peut-on vraiment garantir que le distributeur pourra s’absoudre de toute responsabilité en cas de baisse du portefeuille, au prétexte qu’il était tenu à un simple contrôle de « cohérence », et qu’il donc n’était pas tenu de sonder l’appétence de son client aux risques et aux pertes ? Pourtant il savait (ou devait savoir) que son client ne disposait pas de revenus importants et recherchait un objectif de gestion prudente, puisqu’il doit recueillir ces données au titre du conseil sur la cohérence du produit.
Un travail de contractualisation important devra être effectué par les distributeurs pour indiquer clairement en quoi consiste le conseil sur la cohérence du produit.
Un avocat, dont le quotidien est de conseiller ses clients, pourrait dire que la notion de conseil est unique et non pas duale : un conseil est bon ou il est mauvais. Certes, il est possible de délimiter le périmètre de l’objet conseil, comme le fait l’ordonnance (cohérence Vs caractère adapté), sans que cela ne puisse toutefois affecter la substance même de l’obligation.
D’un point de vue terminologique, pourquoi utiliser cette inutile périphrase :« lorsqu’un service de recommandation personnalisée est fourni, […] ce service consiste à lui expliquer en quoi, parmi différents contrats ou différentes options d’investissement au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options sont plus adéquats à ses exigences et besoins et en particulier plus adaptés à sa tolérance aux risques et à sa capacité à subir des pertes »). Le cœur de cette obligation est simplement de s’assurer que le produit recommandé est adapté et non de lui « expliquer » cette adéquation (« motivation », comme l’indiquait plus justement le texte précédent), laquelle explication est secondaire et n’est que la conséquence du test d’adéquation. C’est compliquer inutilement le texte.
Plus généralement, l’on peut s’interroger sur la conformité de ce texte de transposition à certaines dispositions du règlement délégué de la directive DDA (qui lui est supérieure dans la hiérarchie des normes). A titre d’illustration l’ordonnance de transposition prévoit que lorsque le client ne fournit pas des informations nécessaires, qu’il s’agisse du test simple du caractère approprié ou plus étendu du caractère adapté, il le met en garde. Le règlement délégué va plus loin en interdisant au distributeur qui fournit un service de conseil personnalisé et qui donc effectue un test d’adéquation de poursuivre la commercialisation (article 9.5 du Règlement délégué 2017/2359 du 21 septembre 2017).
En réalité, l’explication réside probablement d’une part, dans la volonté politique de conserver un conseil obligatoire dans toutes les situations et, d’autre part, dans le souhait de prendre en compte la jurisprudence de la Cour de cassation qui met systématiquement un devoir de conseil à la charge de l’intermédiaire. Autrement dit, il s’agissait de concilier à la fois le devoir prétorien de conseil (qui, semblerait-il, prendrait désormais la forme du contrôle de cohérence introduit par l’ordonnance) et la nouvelle obligation légale de conseil personnalisé.
L’objectif sur ce point n’est pas totalement atteint. En effet, le test de cohérence introduit par l’ordonnance n’est pas strictement identique au devoir de conseil imposé par la jurisprudence, qui va parfois plus loin (à titre d’illustration, et au visa de l’article 1147 du Code civil, Cass. 2ème civ., 8 décembre 2016, n° 14-29729).
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On ne peut que regretter le fossé qui continue à se creuser entre l’inutile sophistication de ces textes, à la fois pour les tribunaux civils qui vont devoir les appliquer (et vivre avec deux catégories d’une même obligation de conseil) et les intermédiaires charger de les mettre en œuvre.
[1] « Avant la conclusion d'un contrat d'assurance […] l'entreprise précise les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur ou l'adhérent ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé. Ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur ou l'adhérent concernant sa situation financière et ses objectifs de souscription, sont adaptées à la complexité du contrat […] ».